Lundi 5 avril
En début de matinée, le Marion Dufresne a quitté son mouillage devant PAF dans la baie au joli nom de Baie de l'Aurore Australe pour se diriger vers Port Jeanne d’Arc au fond de la Passe de Buenos Aires avec le Mont Ross ( 1.850 m ) en toile de fond.
C'est un passage qualifié d'exceptionnel car « Péjida » ( Port Jeanne d’Arc en pur langage taafien ) est une destination très peu usitée lors des opérations du Marion Dufresne mais il y a du matériel à récupérer dans les cabanes du secteur du Mont Ross ( dans les terres australes, la protection de l'environnement est poussée au maximum et on ramène tout y compris les poubelles ).
L’hélicoptère nous dépose à terre vers 9 heures. Port Jeanne d’Arc a été la seule et unique station baleinière sur sol français. Elle fut, en fait, exploitée par une compagnie norvégienne à qui les frères Bossière, concessionnaires officiels des îles Kerguelen, ont accordé le droit de chasse et d’exploitation des baleines et des éléphants de mer pour la fabrication de l’huile.
Les norvégiens ont cessé d’exploiter l’usine en 1927 et, depuis, tout est resté à l’abandon, exception faite d’un début de réhabilitation dans les années 2000 au titre de la conservation du patrimoine national.
Les lieux sont imprégnés d’une atmosphère très particulière. En bordure du bras de mer, devant une colline rousse, subsistent deux longs bâtiments dont l’un est soutenu par des étais. Le reste n’est que montagnes de ferrailles rouillées et de planches grises écroulées.
Trois grandes chaudières sont encore debout prisonnières d’une armature métallique corrodée. Leurs cheminées ressemblent à trois canons pointés vers le ciel. Un entassement de barils rongés par la corrosion et les vestiges de deux grandes citernes témoignent de l’importance de l’exploitation. Des débris rouillés de toutes sortes jonchent le sol. Plus loin, les planches grises de trois baleinières éventrées émergent à peine de l’herbe.
Luc, collaborateur de la Réserve Naturelle et notre guide, nous explique et nous brosse rapidement le tableau de ce à quoi devait ressembler Port Jeanne d’Arc en pleine activité.
Par la rampe, dont on voit encore quelques vestiges émergeant de l’eau et que fréquentent aujourd'hui quelques manchots, les énormes dépouilles des baleines étaient amenées pour être dépecées. Il faut imaginer la nuée de skuas, albatros, pétrels géants tournoyant autour des carcasses en piaillant, il faut se figurer les jets de vapeur crachés par les chaudières, il faut se représenter les montagnes d’os et de déchets qui s’accumulaient sans parler des odeurs pestilentielles qui se dégageaient des cuves.
Port Jeanne d’Arc devait, à l’époque, ressembler à l’antichambre de l’enfer où travaillaient plus d’une centaine d’hommes dont certains sont morts ici.
En milieu d’après-midi, le Marion Dufresne lève l'ancre et entame le retour vers Port aux Français. À la passerelle, où nous sommes toujours les bienvenus, règne une atmosphère d’église et seuls les chuchotements sont admis. Le commandant debout devant les écrans donne le cap au pilote qui répète les ordres. La manœuvre est délicate car le trajet retour implique plusieurs changements de cap pour emprunter les différents bras de mer parsemés de récifs dont tous ne sont pas cartographiés entre les îles avant de rejoindre la Baie du Morbihan.
Écrit devant Port-Jeanne d'Arc ( Kerguelen ) le 5 avril 2010
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