Nous avons quitté Etah par un temps splendide, des éclairages rasants et somptueux comme seules les hautes latitudes savent en offrir. Quittant le Foulke Fjord et le Groenland, en mer on apercevait fort bien les rivages de la Terre d'Ellesmere dans l'ouest à plus de 30 milles nautiques, c'est dire la pureté du ciel par ici.
Tout au long de la nuit qui a suivi nous avons déboulé toute la partie nord de la Baie de Baffin, poussé par un fort vent de nord - donc polaire au sens propre comme au sens figuré du terme - de 20 nœuds dans une mer formée, mais quelle magie à barrer dans de telles conditions sous le soleil de minuit au milieu de quelques dizaines d'icebergs et de milliers de growlers.
Dans la matinée qui a suivi, le vent a bien molli, mais nous avons poursuivi notre course à plus de 7 nœuds alors que le ciel s'était couvert et qu'il pleuvinait, l'attention restant soutenue pour éviter icebergs et blocs de glace, il convenait de ne pas imiter le Titanic !
Le ciel est resté bas et le vent nul en fin de journée comme au cours de la nuit suivante, un peu sombre pour la première fois depuis notre départ. Nous avons emprunté le Glacier Strait, puis remonté le très large Jones Sound entre la Terre d'Ellesmere au nord et l'île Devon loin au sud, c'était plutôt glacial avec une température 2,5°, lors des trois heures de mon quart dans le cockpit et il convenait d'être bien couvert ! La veille à la glace est restée de règle.
À 4 heures 35 ( heure canadienne ), après un long bord de 221 milles nautiques, nous avons mouillé devant Grise Fiord*, la communauté la plus au nord du Nunavut.
Le village ressemble à celui de Qaanaaq de l'autre côté de la Baie de Baffin, baraques en bois peint, citernes contenant de l'eau ou du fuel pour le chauffage quasi permanent, des motoneiges et des traîneaux avec bien sûr, ici et là, des chiens, mais il y a peu communication entre les deux villages inuit, le canadien et le groenlandais. D'ailleurs, les habitants ne parlent pas le même dialecte.
Un sombre chapitre de l'histoire du Canada a été écrit ici : en 1950, des inuit d'Inukjuak et Pond Inlet, 1.000 kilomètres plus au sud, ont été déplacés presque de force à Grise Fiord sans logement ni les fournitures dont ils avaient besoin et le gouvernement canadien n'a pas respecté sa promesse de ramener dans leur ancienne demeure celles et ceux qui l'auraient souhaité. Malgré les souffrances et les difficultés, les inuit sont parvenus à créer ici à partir de rien, une communauté dynamique qui compte aujourd'hui 150 personnes**.
Nous avons débarqué pour faire nos formalités d'entrée au Canada au poste de la RCMP, la police montée canadienne. Accueil plus que chaleureux des deux constables, Ed reste réservé mais Philippe est un rigolo et je me suis retrouvé menottes aux poignets, enfermé dans l'une des trois cellules du poste. J'ai envisagé d'appeler mon avocat mais il se dorait la pilule du côté de Saint-Raphaël-Fréjus et l'affaire ne devait guère l'intéresser ! Je suis donc resté enfermé pendant quelques instants sous les rires du reste de l'équipe. Un peu après, j'ai pu enfiler la Kapatak, de Philippe, la tenue d'hiver, une lourde parka en peau de renne.
Nous sommes ensuite partis à la découverte du village, salué par les larges sourires des personnes rencontrées. Passage à la coopérative, passage au centre culturel très moderne et complet avec sa salle de sports. Nous y avons croisé une équipe scientifique arrivée la veille par un petit avion, pour une campagne de comptage des narvals.
* Fjord sur la côte groenlandaise, Fiord au Canada
** Avant leur arrivée, la région était inhabitée mais on a retrouvé des restes de la civilisation dite Independence ( 2400 ans avant notre ère ) et de celle de Thulé ( entre 1.000 et 1.400 ans après J.C. ).
Carte avec le parcours d'Etah à Grise Fiord - détails techniques - fichier GPS [ clic ]
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